Fairfly

Notre rapport au travail est à la fois complexe et ambigu. On se définit à travers lui et, en même temps, on a hâte de s’en affranchir. Puisque nous sommes souvent à la merci des décisions prises par les dirigeants, l’appel pour devenir son propre patron peut être tentant et grisant… pour un temps. Quand on se lance en affaires, il y a plusieurs phases qui exposent les bons et moins bons côtés de nos personnalités. C’est ce large et foisonnant spectre humain que la pièce met en lumière avec nuance, sensibilité et un soupçon d’ironie bienveillante.

Rarement exploré au théâtre, le milieu entrepreneurial est riche de situations dramatiques aussi intenses qu’euphorisantes. L’auteur s’en empare avec fougue et lucidité et, à travers une écriture vive, il nous fait vivre les montagnes russes émotionnelles de quatre amis qui font le choix de fonder leur propre entreprise. C’est une dramaturgie à hauteur d’homme que nous propose l’auteur, une manière de saluer le courage de ces individus qui s’engagent au coût d’énormes sacrifices dans cette aventure tout sauf rassurante. Surtout, on sent entre chaque réplique l’amour qu’il porte à ses personnages. C’est à la fois jubilatoire et d’une grande justesse.

À mon tour de saluer le talent et la grande sensibilité de ces quatre formidables interprètes que j’adore. Merci, Sonia, Raphaëlle, Simon et Mikhaïl. Votre plaisir d’être sur scène est absolument contagieux et irrésistible.

Je salue aussi Ricard Soler Mallol dont c’est la première mise en scène pour La Manufacture. Merci, Ricard, de m’avoir fait lire cette pièce et de permettre cette première incursion dans la dramaturgie catalane. Ta direction est d’une grande intelligence et rend avec justesse toutes les nuances de l’écriture.

Et à vous, cher public, il ne me reste qu’à vous souhaiter de passer une soirée riche de plaisir et de questionnements.

PHILIPPE LAMBERT
Directeur artistique et général – La licorne

Quelle était l’idée de départ pour l’écriture de Fairfly ?

À la base, l’idée première était de créer une comédie satirique (une farce même) à propos de ce que nous appelions « le mythe de l’entrepreneuriat ». Mais nous avons réalisé qu’il était plus intéressant de raconter l’histoire de l’intérieur. Au lieu de critiquer et de se moquer de ceux qui ont cru à ce mythe, racontons plutôt l’histoire d’un groupe de gens normaux qui, un jour, décident de démarrer une startup et de changer le monde.

Pourquoi avoir écrit une pièce mettant en scène un projet de startup ? D’où vient votre inspiration ?

En 2015, au pire de la crise financière, ici, en Catalogne, les politiciens et les banquiers répétaient sans cesse que la raison principale de cette crise était « notre manque de culture entrepreneuriale ». Et donc, si nous n’avions pas assez d’argent pour payer nos loyers, si nous étions malheureux dans nos emplois précaires, c’était parce que nous n’étions pas assez bons, pas assez créatifs ni assez braves ou intelligents. Avec comme objectif premier de « camoufler » le nombre de chômeurs et de diviser la classe ouvrière, le gouvernement d’ici a aidé tous ceux qui le souhaitaient à devenir entrepreneurs… Si vous échouez, ce sera de votre faute. Alors ne venez pas pleurer auprès du gouvernement qui vous a aidés. Fairfly tente de démontrer le fonctionnement de ce système pervers.

Est-ce qu’on peut dire que la pièce est une critique sociale ?

Je crois que toutes les pièces sont politiques, même lorsque ce n’est pas leur intention. Donc, oui, nous voulions réfléchir aux contradictions d’un système qui place les travailleurs d’abord les uns contre les autres et, finalement, contre eux-mêmes.

Fairfly a reçu un bel accueil du public et recueilli de nombreux prix en Europe. Pourquoi pensez-vous qu’elle a rejoint autant de gens ?

Tout le monde a déjà participé au moins une fois dans sa vie à un projet collectif : une compagnie, une famille, un groupe de musique… ou même un voyage entre amis. Tout le monde s’est déjà assis à une table pour essayer de bâtir quelque chose collectivement, a rêvé, discuté et est devenu fou en découvrant que « merde! ton idée de changer le monde n’a rien à voir avec mon idée de changer le monde ». Je pense que c’est pourquoi tout le monde peut se reconnaître dans un des quatre personnages, et même plus d’un, selon les différents moments de leur vie.

Tout commence un jour comme aujourd’hui, une soirée, un 5 à 7 après le travail. On se rencontre chez Simon et Martha : il faut s’organiser après la réception d’un courriel de notre employeur nous informant d’« une réduction drastique de personnel ». On va être licencié.e.s ? OK, les ami.e.s, qu’est-ce que vous voulez faire ? La première idée est de se battre pour défendre nos emplois, bien sûr… Mais qui n’a pas déjà songé à ce que ses rêves devien- nent réalité ?

Fairfly est une comédie audacieuse sur l’émergence des startups, qui nous fait réfléchir sur le rêve idyllique caché derrière le discours de l’entrepreneuriat. Le texte, de mes amis catalans Joan Yago et la Compagnie La Calòrica, est un engrenage dramaturgique d’une précision millimétrée qui nous mène du rire à l’empathie, de l’enthousiasme à la rage. On se reconnaît, on se projette dans la même situation. Fairfly est un miroir de notre mode de vie.

Bienvenue au cœur de cette rencontre entre amis, collègues de travail. Plongez-vous dans leurs conversations quotidiennes, animées. Suivez leurs péripéties et leurs rêves de devenir eux- mêmes patrons et riches. Laissez-vous envoûter et entraîner par ce texte qui nous parle d’amitié, d’ambition, d’individualisme et de conformisme, de projets et de folies, de succès et d’échecs, d’idées brillantes qui pourraient changer le monde… Qui n’a pas rêvé de changer le monde ?

Après deux ans de processus de création, une pandémie et son confinement, me voici, ici, ce soir, avec toute la fabuleuse équipe de cette startup prête au lancement. Merci à Ariane et à Elisabet de me suivre dans le projet depuis le début ! Merci, Maryse, tu as été la clé pour que cette version québécoise de Fairfly devienne une réalité ! Merci à toute l’équipe : Simon, Sonia, Raphaëlle et Mikhaïl, ça a été un plaisir. À Romain, Catherine et Fruzsina pour ce magnifique terrain de jeu. Merci à toute l’équipe de La Manufacture et spécialement à Philippe Lambert de croire en ce projet et de m’accorder ta confiance.

Bon spectacle,
RICARD SOLER MALLOL