Un dictionnaire des émotions en temps de guerre

En soutien à l’Ukraine

Le 24 février, en solidarité avec le peuple ukrainien et en hommage à la résilience de ses artistes, ce texte sera partagé dans tous les théâtres de Montréal, une initiative lancée par le dramaturge Michel Marc Bouchard. Il s’agit d’un court extrait de la pièce de Yelena Astasyeva intitulée Un dictionnaire des émotions en temps de guerre. Pièce écrite en mars 2022, quelques semaines après le début de l’invasion russe et traduite en français par Ian Stephens.

Correspondance entre trois amies.

La première amie : Je n’ai pas eu de contact avec maman depuis le matin du 2 mars. Elle est à Marioupol. Toutes les communications sont coupées. Tout ce que j’ai pu découvrir jusqu’à aujourd’hui : personne n’a eu de gaz, d’électricité, de communication et de nourriture depuis longtemps. Son appartement a été bombardé. Les gens font cuire du porridge sur un feu dans la cour. J’espère qu’elle est en vie. Je crois qu’elle va bien. J’attends. C’est très dur d’attendre. Je suis impuissante, mais j’espère.

La deuxième amie : Aujourd’hui, je suis rentrée de la chasse à la nourriture en rampant avec trois miches de pain et deux paquets de flocons d’avoine. Ma sœur, mon père et ma tante ont mené une opération spéciale sur les pommes et en ont ramené un paquet. Il n’y a plus de fruits. Et j’ai besoin de vitamines. J’ai fait la queue alors que des explosions se produisaient autour de nous. Et merde. A un kilomètre de chez moi, ils creusent une sorte de fossé. À l’aéroport, à quatre kilomètres d’ici, on entend des explosions la nuit. Je passe toute la journée sur Internet, probablement comme tout le monde. Je vais bientôt accoucher. L’essentiel est d’avoir accès à la maternité et aux médicaments. Des gens écrivent tous les jours de différentes villes et pays : Venez ici! Encore de nobles fous… Nous sommes sous occupation, où vais-je aller ? Je n’arrête pas de m’en vouloir de ne pas être partie. Pas pour moi, mais pour mon futur bébé. Je suis très pessimiste quant à la fin de toute cette merde. C’est la vie. Un jour après l’autre.

La troisième amie : Douzième jour de la guerre : Comment vas-tu ? Tout va bien ici, des avions qui survolent, des explosions, mes jambes me font mal à force de faire la queue pour la nourriture et les aliments pour animaux. Nous avons assez à manger pour cinq jours encore, puis pendant quelques jours encore, nous mangerons des concombres marinés et boirons de la compote de fruits. Je suis épuisée. J’essaie de lire, mais je n’y arrive vraiment pas, surtout quand les explosions me détournent sans cesse de mon livre. Je compte sur l’armée. Je leur ai donné tout mon argent disponible afin de hâter notre victoire.

  • Extrait de Un dictionnaire des émotions en temps de guerre, de Yelena Astasyeva