Entrevue avec Lise Martin et Phara Thibault

Crédit: Marie-Ève Milot

Crédit photo: Marie-Ève Milot

Complices sur les planches et dans la vie, Lise Martin et Phara Thibault se donnent la réplique dans Chokola. Elles se confient sur leur vision respective de la pièce et sur le lien qui les unit au-delà du jeu. Entrevue !

1) Parlez-moi de Chokola, selon vos visions respectives de l’œuvre. Son histoire, ses thèmes, son essence même !

Phara Thibault : Chokola, c’est un hurlement poétique. C’est ma soif viscérale de me comprendre, de me réparer. Rares sont les narratifs dans lesquels il est possible pour moi de m’identifier et j’en ai énormément souffert en grandissant. Le manque de représentativité m’a amenée beaucoup trop souvent à désirer me fondre dans la masse, voire à disparaître complètement. J’ai écrit ce que j’aurais eu besoin d’entendre, enfant. Une invitation à me sentir moins seule dans ma couleur de peau. C’est également ce que mon entourage aurait dû savoir afin de remettre en question leur privilège blanc et leur complexité d’humain. À travers le thème de la quête de repère, de l’adoption et du racisme, Chokola me raconte, certes, mais nous raconte tous pareillement dans nos rapports avec ce qui nous est étranger. Plus intimement, Chokola est un appel à l’amour à tous les « différent·e·s » de ce monde qui se mettent à genoux pour entrer dans un moule et quitter ce qu’il·elle·s sont.

Lise Martin : Chokola raconte l’histoire de Phara, une jeune fille d’origine haïtienne qui se fait adopter au Québec à l’âge de deux ans et demi et qui grandit dans un petit village près de Lévis. Dans ce récit autobiographique, Phara nous livre avec une poésie poignante son regard sur le monde dans lequel elle a été parachutée et son regard sur elle-même. Elle nous donne accès à toute sa quête identitaire sans utiliser de filtre. Elle réussit à aborder des thèmes délicats avec énormément de finesse et de nuances sans jamais tomber dans un discours moralisateur. Elle parle de racisme, de micro-agressions, de la différence et de l’importance de connaître ses racines afin de pouvoir se construire et s’aimer.

2) Dites-nous-en plus sur vos personnages et sur ce qu’ils vivent.

P.T. : Pendant les séances chez la psychologue, Phara est replongée dans ses souvenirs d’elle-même qui prie pour se réincarner dans une belle peau, une peau blanche comme neige. Ses souvenirs d’une berceuse, ses souvenirs de micro-agressions sur les bancs d’école, à la maison. Ses réflexions ravivent sa soif de trouver un visage qui lui ressemble, celui de l’autrice de sa naissance qu’elle n’a jamais oubliée. Avec le recul, je réalise que ce que mon personnage cherche avant tout, c’est une partie d’elle-même qui est restée avec sa mère biologique et sa culture d’origine lors de leur séparation.

L.M. : Je joue la psychologue de Phara. Je suis un peu le reflet du spectateur qui recevra aussi ses confidences et ses réflexions. Une psychologue qui, au départ, est coincée dans des procédures institutionnelles, mais qui s’humanisera rapidement au contact authentique et attachant du personnage de Phara.

3) Je crois que vous êtes des complices au-delà des planches. Racontez-moi un peu l’historique de cette relation de complicité qui s’est établie entre vous. Quel « rôle » avez-vous joué l’une pour l’autre dans la vraie vie

P.T.: Lise est mon ange gardien. Sofia Blondin (metteuse en lecture de Chokola au Jamais Lu 2021) m’a présenté Lise et, depuis, nous sommes inséparables. Son écoute, son humour, sa douceur, sa capacité à remettre ses biais en question en tant que femme blanche sont un baume dans mon quotidien. Le lendemain de notre première rencontre, elle m’a dit : « Dépose ton texte à La Licorne. » J’ai ri. (Je pensais qu’elle blaguait… Moi ? À La Licorne… ?!) Mais la sincérité et la lumière dans ses yeux m’ont octroyé le droit de croire en la validité de mes mots. C’est précieux.

L.M. : J’ai rencontré Phara grâce à Chokola. J’ai eu le privilège de pouvoir participer à la première lecture publique du texte. J’ai eu un réel choc émotif la première fois que j’en ai pris connaissance. Elle est rapidement devenue ma protégée… pas parce qu’elle avait besoin de protection ; c’est une femme incroyablement forte et déterminée. Mais je souhaitais qu’elle puisse voir tout ce que je voyais quand je la regardais.

J’ai tout de suite écrit à Phara pour lui dire combien son histoire et sa façon de la raconter m’avaient bouleversée. Je lui ai dit que c’était le début d’une grande aventure pour elle et que je croyais que son texte voyagerait énormément sous plusieurs formes d’art. Qu’il serait un outil et un moteur de changement important dans notre façon d’observer le monde et de nous observer nous-mêmes. Je suis devenue une spectatrice privilégiée, style première loge, qui a la chance de voir l’éclosion de Phara comme artiste et comme femme, ces deux dernières années. C’est un immense privilège et une grande source d’inspiration. Ce qui est fou, c’est que la vie nous a réunies par la suite dans une émission jeunesse où nous jouons un duo mère-fille. C’est un peu comme si notre rencontre avait été planifiée.