Deux femmes en or

Entrevue avec Claude Fournier et Marie-José Raymond

Crédit photo: Gracieuseté

Créée au printemps dernier à La Licorne, la pièce Deux femmes en or de Catherine Léger, une adaptation du film culte québécois écrit en 1970 par Marie-José Raymond et le regretté Claude Fournier, est de retour à La Licorne, en supplémentaire et à guichets fermés, du 5 au 21 décembre! En novembre 2021, le célèbre couple avait accepté de nous accorder une entrevue afin de nous parler, entre autres, du contexte social dans lequel leur comédie érotique avait enflammé les salles de cinéma, il y a 50 ans. Bonne lecture!

Comment a germé l’idée de Deux femmes en or ?

Claude Fournier : À l’époque, dans les années 1970, on habitait sur la Rive-Sud et on passait deux fois par jour sur un viaduc du haut duquel on voyait la banlieue de Brossard se construire.

Marie-José Raymond : Oui, et on a vite remarqué que la majorité des gens qui prenaient l’autoroute étaient des hommes seuls dans leur auto.

CF : Je me suis demandé ce que les femmes faisaient quand les hommes s’en allaient travailler. Il y avait quelque chose à creuser là-dedans! Elles devaient s’ennuyer, dans cette espèce de banlieue plus ou moins organisée. Et là, Marie-José m’a dit : « Peut-être qu’elles ne s’emmerdent pas tant que ça ! »

Rires

MJR : En banlieue, il y avait le laitier et tous les autres hommes qui venaient sans qu’on les appelle ! Et ensuite, on a imaginé des choses pour en faire venir d’autres !

À l’époque, aborder la sexualité féminine, c’était provocateur, audacieux ! Pourquoi avoir voulu en parler ?
MJR : Le rapport Kinsey, sur la sexualité féminine, avait fait beaucoup de bruit aux États-Unis. Je l’avais lu et je trouvais ça intéressant qu’on reconnaisse ouvertement, sans malaise, que les femmes aussi avaient des envies, des plaisirs sexuels. Ça a contribué à ce que l’on se dise : OK, on est d’accord avec ça, allons-y. Et nous avons écrit le scénario en trois semaines.

CF : Au départ, le film se terminait mal ! Le distributeur nous a demandé de trouver une fin heureuse, pour ne pas décevoir le public qui allait vraiment aimer les deux héroïnes ! Ça devait être mon vieux fond judéochrétien, enfoui inconsciemment, qui ressortait. Alors on a écrit une fin heureuse !

Quelle a été la réaction du public ?
CF : Lors de la première du film au Cinéma Saint-Denis, la salle était pleine, c’était fou ! Les gens riaient tout le temps, autant les hommes que les femmes. Ça m’a beaucoup surpris que ça les touche à ce point. À notre retour d’Italie, un mois après la sortie du film, les douaniers nous félicitaient ! En passant devant le Saint- Denis, à l’heure du film, il y avait une queue jusqu’à la rue Sherbrooke… Fait anecdotique, le film était diffusé dans deux salles seulement : le Saint-Denis et le Bijou, avec une demi-heure de décalage. Et il y avait une seule copie. C’était un petit gars à bicyclette qui se déplaçait avec les bobines !

Pourquoi un si grand succès, selon vous ?
MJR : C’est sans doute le film Valérie, venu juste avant, qui a déshabillé la Québécoise, comme on dit. C’était dans l’air du temps. Sauf que Valérie était davantage moralisateur et c’était plus un drame qu’une comédie. Dans Deux femmes en or, tout se passe dans le plaisir, sans culpabilité. C’est drôle, bon enfant, simple, bien joué. Ça a contribué au succès. Et plusieurs choses allaient au-delà de l’histoire de ces deux femmes. Par exemple, on abordait la vie de banlieue à un moment où c’était un phénomène qui s’inscrivait vraiment dans le nouveau rapport de vie des gens. Le public se reconnaissait.

Parlez-nous de l’impressionnante distribution du film.
MJR : Les actrices étaient remarquables. Et les acteurs, tous des amis dans nos vies, l’étaient tout autant. Yvon Deschamps, Paul Buissonneau, Gilles Latulippe, Donald Lautrec, Marcel Sabourin, Michel Chartrand, Jean Lapointe. Le casting a fait beaucoup pour le film.

Quels ont été les impacts financiers et sociaux de Deux femmes en or ?
CF : C’est le premier film québécois qui a cassé la baraque sur le plan financier, le premier qui a rapporté le plus d’argent au box-office canadien. Quand Deux femmes en or est sorti, plusieurs députés à Ottawa voulaient fermer la SDICC (ancêtre de Téléfilm Canada). Ce succès a convaincu le gouvernement de continuer à injecter de l’argent dans les films d’ici.

MJR : Je pense aussi que ça a rendu légitime le fait de parler de sexualité féminine dans la littérature, dans les pièces de théâtre ou les films, sans que ce soit quelque chose de punissable ou de répréhensible. C’est devenu socialement acceptable. De plus, tout cela s’est produit dans la foulée du Rapport Parent. La laïcité commençait à être dans l’air du temps. On n’était plus obligés d’aller à la confesse parce qu’on avait parlé de sexe… En ce sens, c’était non seulement une période de libération sexuelle, mais aussi de libération humaine et religieuse.

CF : C’était la première fois, dans l’histoire du film québécois, que l’érotisme donnait lieu à de la comédie. Pas de drame. Tout ce qu’il y avait de sexuel et d’érotique était comique.

MJR : Ce que je trouve intéressant, c’est que, 50 ans après, on en fasse une pièce et qu’un remake du film se prépare. Ça doit être un sujet assez profond, finalement. Certainement, en tout cas, une porte ouverte à ce que d’autres auteures féminines parlent librement de sexualité, de nos jours encore.