Entrevue avec Marie-Hélène Thibault et Irdens Exantus

Dans Dix quatre – création de La Manufacture qui débute le 17 janvier – les interprètes Irdens Exantus et Marie-Hélène Thibault campent des personnages au caractère bien trempé, dont la vision du monde de la télé, cœur de l’intrigue de la pièce, diverge complètement. Ils ont accepté de nous en dire un peu plus, le temps de trois questions, sur cette déroutante satire de Jason Sherman, traduite par Jean Marc Dalpé.

Quelle est l’histoire de Dix quatre? Qu’est-ce qui vous a accroché dans cette pièce?

Irdens Exantus : C’est l’histoire de quatre scénaristes qui travaillent sous pression pour écrire une série policière à des périodes charnières de leurs carrières.

Quand Colin (mon personnage) est victime de brutalité policière et qu’il décide de s’en inspirer pour créer l’intrigue principale du show, la fiction se mêle à la réalité et tous les rouages du système télévisuel sont alors remis en question.

Tout le monde marche sur des œufs, très peu s’écoutent réellement et personne n’arrive vraiment à créer des ponts pour que les différents points de vue puissent coexister… un peu comme dans notre société actuelle! Et c’est ce qui m’a accroché dans cette pièce.

Marie-Hélène Thibault : Dix quatre, c’est une plongée dans le quotidien d’un groupe de scénaristes qui doit écrire une série télé policière, avec ce que ça implique de compromis, de guerres de pouvoir et d’adrénaline, tout ça avec des dates de tombée imposées par une productrice ambitieuse et un événement imprévu qui viendra brouiller les cartes. Ce qui m’a accrochée, outre le fait que Didier en assure la mise en scène, ce sont les nombreux thèmes cachés derrière une écriture rythmée et une satire du monde merveilleux de la télévision. Et j’adore comment mon personnage est révélé au public!

Dans Dix quatre, on peut dire que la vision des choses de vos personnages respectifs est aux antipodes l’une de l’autre! Parlez-nous un peu de votre personnage et de la manière dont vous l’avez abordé.

IE : Pour moi, Colin représente la nouveauté, le changement. Il arrive dans l’univers de la télé avec une certaine arrogance. C’est le monde de la télévision qui l’a choisi et non le contraire. Il croit sans aucun doute en son talent d’auteur et à ce qu’il pourrait apporter à l’écriture de l’émission grâce à sa voix singulière.

Quand il est victime de profilage, ses convictions morales sont solidement ébranlées. Pourquoi ne pas essayer de changer les choses de façon concrète en dénonçant ce qu’il a vécu? Et c’est là que ça pète avec les autres… Personne n’est réellement prêt à assumer, à se rendre jusque-là. On veut de la diversité partout, mais on n’est pas totalement prêts à affronter les enjeux et les réalités que ces personnes-là vivent!

Colin a ses failles aussi: il a de la difficulté à faire des compromis, à écouter les autres et à travailler en équipe. Il est tellement absorbé par ce qu’il a vécu, qu’il n’arrive pas à accepter de ne pas avoir toutes les clés pour bien changer les choses. Et c’est ce qui va finir par le rattraper, malgré toutes ses bonnes intentions.

MHT : Il est dit d’Elsa qu’elle ne parle jamais pour ne rien dire. Je suis partie de là. Et aussi du fait qu’elle représente le pouvoir, mais que ce pouvoir est en train de lui échapper, donc qu’elle est dans un moment de crise et qu’elle révèle plus de vulnérabilité qu’elle ne le voudrait (mais ça, ça vient de Didier!).

Croyez-vous que le public sortira du spectacle avec une vision différente du monde de la télévision?

IE : Je crois qu’ils verront à quel point écrire une série télé n’est pas de tout repos, surtout quand on doit travailler avec des gens qui viennent de milieux différents, avec des réalités différentes.

Mais j’espère qu’ils verront aussi toute la nécessité de le faire, de travailler en équipe malgré les différences. Parce que la fiction peut effectivement rattraper la réalité, surtout quand la fiction a une vision erronée du monde réel. Et quand ça arrive, c’est toute notre société qui s’en trouve affectée.

MHT : Je ne crois pas que la pièce traite tant que ça du monde de la télé, au fond. Pour moi, ça parle de pouvoir, de désillusions, des changements nécessaires, mais si difficiles à opérer dans la société. Et de l’espoir qu’on peut changer les choses malgré tout. De quoi ça parle… humm… C’est le public qui le sait!