Entrevue

Entrevue avec Clara Prieur et Dominique Pétin

Génération danse aborde les enjeux de l’adolescence avec énergie et audace! Nous nous sommes entretenus avec Dominique Pétin et Clara Prieur, deux des neuf interprètes qui donnent vie à ce spectacle aussi puissant qu’inattendu, afin d’en savoir plus sur leur expérience de jeu.

Parlez-nous de cette pièce unique et étonnante de Clare Barron. Son histoire, ses spécificités, les thèmes qu’elle aborde.

Dominique Pétin: En travaillant ce texte, il m’apparaît que l’autrice nous invite, entre autres, à la désobéissance. Clare Barron propose une forme théâtrale non conventionnelle où les codes habituels de la dramaturgie sont brassés. Le public est sommé de rester dans une posture d’ouverture par la fougue des interprètes et celles-ci doivent se mouler à une écriture émotive en pointillé. Il n’y aura pas de cartes de navigation, pas de GPS, simplement l’urgence de vivre et d’être. Un peu comme l’adolescence, quoi.

Clara Prieur: L’histoire est simple: une troupe d’ados veut se rendre à la grande compétition nationale de danse, guidée par Pat le prof et plus ou moins soutenue par leurs Mamans. Mais les enjeux sont plus complexes. La sororité se dessine par contraste, en présence d’autres forces. Pour moi, c’est avant tout une pièce qui propose un regard féminin sur le thème de la férocité: celle qui s’installe dans le ventre des adolescentes avec le sang des premières règles, celle de la découverte de la sexualité, celle du premier amour, celle du désir de réussir et de la pression qui vient avec, celle de la nécessité de trouver sa place au sein d’un petit groupe, comme au sein de la société. À l’adolescence, tout semble être une question de vie ou de mort. La danse sert de prisme pour décupler ces enjeux-là, et faire du corps leur point névralgique.

Vos personnages respectifs entretiennent une amitié privilégiée, ici. Dites-nous-en plus sur la relation compétitive, complexe et attachante qui vous lie dans ce texte, ainsi que sur votre duo d’actrices.

Dominique Pétin: Avant tout, il y a l’amour qu’elles éprouvent l’une pour l’autre; l’attachement profond qu’on ressent quand on rencontre dans ce monde quelqu’un qui nous ressemble. Quand on a le cœur grand ouvert, sans protection (parce qu’on n’avait jamais imaginé qu’on aurait besoin de protection), la peine d’amitié est très douloureuse. On tombe. De haut. Zuzu s’écrasera. Cependant, cette première débarque lui permettra de se libérer en quelque sorte. Tout comme Zuzu, je suis admirative de la grâce de Clara/Amina. Je remercie Clara de sa patience à mon égard, de sa gentillesse aussi. Nous nous sommes rapidement ouvertes l’une à l’autre exposant nos fragilités, nos biais. Ça m’émeut.

Clara Prieur: Amina et Zuzu s’adorent, elles se connaissent par cœur, elles sont les plus ambitieuses de la troupe. Elles arrivent à un moment décisif de leur jeune carrière: celui de se faire remarquer par un agent de casting pendant la compétition nationale… Bien sûr, une rivalité s’installe, mais elle reste sourde, inavouable. Deux pulsions luttent à l’intérieur d’Amina: elle veut être la meilleure, mais elle ne veut pas écraser son amie. Ce que j’ai trouvé formidable avec Dominique, c’est qu’il y a eu tout de suite une grande franchise et beaucoup de bienveillance entre nous. Je n’ai jamais senti de différence d’âge, mais un désir profond de chercher les nuances de cette relation entre Amina et Zuzu. C’est une femme très inspirante, et ça me touche de voir qu’une amitié réelle se tisse entre nous à mesure que les personnages prennent vie dans la fiction.

L’autrice a choisi d’écrire des personnages de jeunes adolescents pour des interprètes adultes. Qu’est-ce que cette liberté dans la forme apporte au texte et à votre jeu? Comment est-ce de jouer un ado quand on est adulte?

Dominique Pétin: J’avais sous-estimé l’énergie qui nous habite, adolescentes. Dans le corps, bien sûr, mais aussi et surtout dans les montagnes russes des émotions. Tout est à broil. Et vulnérable. Cela demande un élan ininterrompu. Sans repos. Il m’a fallu pour épouser pleinement la proposition, me défaire de mes défenses, de mes frustrations. Plonger dans le processus en toute liberté m’a demandé de laisser de côté tout ce qui fait de moi une adulte réfléchie pour renouer avec la désinvolture, le romantisme, la fragilité de l’adolescente que j’étais il y a 50 ans. Tout un voyage. Et comme le chante si bien Céline… « On ne change pas, on met juste les costumes d’autres sur soi. » (sourire)

Clara Prieur: J’ai l’impression que le texte de Clare Barron et la direction de Sophie Cadieux nous demandent d’osciller en permanence entre l’adulte et l’adolescent·e. Les didascalies initiales indiquent que nous ne jouons pas des ados à proprement parler, mais que «les personnages de 13 ans sont hantés par les spectres de ce qu’ils vont devenir», ce qui déploie largement les possibilités d’interprétation! C’est vertigineux, car on peut choisir quand déplacer le curseur sur l’échelle de la maturité, analyser quels outils nous manquent, nous encombrent ou nous donnent du pouvoir selon l’âge. J’ai adoré me replonger dans les enjeux de cette période de bouleversements qu’est l’adolescence, retrouver la fébrilité des premières fois. On peut se permettre d’avoir des réactions moins psychologiques, plus à fleur de peau, tout en gardant le recul d’un·e adulte en contrepoint.

Clara, tu es comédienne, mais également danseuse professionnelle. Quels sont les parallèles à tisser entre les enjeux soulevés dans la pièce et les défis réels qui parsèment la vie de danseuse (sacrifices, compétition, pression de performance, etc.)?

Clara Prieur: Souvent, dans le milieu de la danse, on commence très jeune, puis on se transforme auprès des mêmes personnes pendant des années, dans un microcosme qui obéit à ses propres codes. L’amitié se densifie, il y a tant de couches qui se superposent qu’on ne sait plus très bien comment les définir. L’effort physique demandé au quotidien, l’adrénaline des concours, la joie d’être sur scène, tout ça soude des liens incomparables. D’un côté, on atteint une complicité et une liberté très épanouissantes — ce qu’on retrouve bien dans la pièce. Mais d’un autre côté, on est mis face aux limites de nos corps en permanence, on a beau s’entraider pour les repousser, on réalise vite qu’il n’y a pas d’égalité. En revanche, quand on arrive à se débarrasser des complexes ou de la frustration qui en découlent, on partage une telle euphorie en dansant que ça en vaut vraiment la peine !