Les filles et les garçons

L’histoire que vous allez entendre ce soir est une histoire tragique.
C’est l’histoire d’une femme qui se bat pour survivre après que sa vie a basculé.
L’histoire de cette femme résiliente doit être entendue pour nous permettre de comprendre
comment et pourquoi de tels événements se produisent.
L’auteur y plonge entièrement et nous demande de suivre cette femme, de lui faire confiance.
Elle nous guide avec toute la sensibilité qu’une telle histoire demande.
Elle remonte à la source puis traverse avec nous les étapes de sa relation, à la recherche des
indices qui ont fait infléchir la trajectoire.
C’est un parcours fait de fulgurances qui nous broie le cœur, mais illuminé sans relâche par la
truculence de cette femme et sa présence rassurante.
Il s’en dégage quelque chose de l’ordre de la communion.
Comme si ce sujet nous ramenait à l’essence des choses. À notre humanité.
Et à ce qu’il nous reste quand notre monde s’écroule.
Comment fait-on pour rester debout ? Pour avancer ? Ou juste ouvrir les yeux ?
Je n’en ai aucune idée.
La seule chose que je sais est que ce soir, vous serez à la fois ébloui.es et brisé.es.

Je veux saluer toute l’équipe de création, en particulier Denis et Marilyn qui ont su rendre toute la puissance de ce texte avec beaucoup d’empathie.

Philippe Lambert

Traduire Dennis Kelly pour comprendre le monde

Ma première rencontre avec Dennis Kelly remonte à plus de dix ans, au cœur de l’hiver montréalais, alors qu’il mettait pour la première fois le pied en sol québécois lors d’une résidence de traductions croisées organisée par le Centre des auteurs dramatiques ( CEAD ). Le choc thermique fut rude ( il fallait le voir tenter de monter le mont Royal en tennis Adidas avant qu’on le traîne de force chez Schreter pour lui trouver des bottes dignes de ce nom ! ), mais il m’a semblé, à moi qui accompagnais sa pièce After the End vers sa version québécoise, que le choc culturel, lui, fut presque inexistant. Quelque chose chez Dennis parle notre langue, même s’il ne la comprend pas. Je pourrais parler des défis que représente la traduction de ses pièces, une expérience que j’ai le bonheur de vivre pour la cinquième fois. Elles se tiennent toujours en équilibre fragile entre l’amour, la violence, le désarroi et l’humour, dans une langue profonde, vive et ordinaire tout à la fois, et à aucun moment du voyage qu’elles proposent peut-on baisser la garde. À chaque détour un coup de poing, un coup de grâce, un coup de vérité qui nous laisse dévasté.es, le souffle coupé. Quelle entreprise ce doit être de transposer une telle charge, une telle maîtrise, dans une autre langue, pour une autre culture ! Mais la vérité c’est que l’écriture de Dennis trouve tant d’échos chez nous que la tâche est certes imposante et demande rigueur et attention, mais je vais vous confier un secret : traduire Dennis est étonnamment… aisé. Fluide. Naturel. Comme s’il nous connaissait déjà. Parce qu’au-delà des différences évidentes de la langue et des enjeux spécifiques de l’Angleterre d’aujourd’hui, ce que Dennis raconte concerne tout le monde. Comment vivre en société ? Saurons-nous dompter notre violence si nous n’arrivons même pas à la nommer ? Comment vivre, comment aimer ?

Dennis Kelly est impitoyable – et empathique. Ses pièces sont des critiques acerbes des petites et grandes lâchetés de notre époque, mais aussi des odes à la bouleversante capacité
qu’ont les humains de persister à chercher la lumière, même dans le plus sombre des gouffres. Il n’hésite pas à se questionner lui-même au passage – impossible, à mon avis, de posséder autant d’acuité en restant au-dessus de la mêlée ; Dennis plonge, et nous invite à plonger avec lui. Il n’en tient qu’à nous de le suivre.

Fanny Britt

Dennis Kelly réfléchit depuis longtemps à la violence. Son œuvre en témoigne.

Comment rendre, sans qu’elle nous rebute, la fulgurance de ce texte ? Comment entrer dans un récit qui se transforme peu à peu en cauchemar ?

J’ai vu plusieurs avenues possibles, plusieurs façons d’aborder ce texte. J’ai retenu une forme que vous connaissez bien, celle du « show d’humour ». Après tout, ne sommes-nous pas la capitale de l’humour et du rire à tout prix ? Autant que ça serve. Je suis cynique, mais il reste néanmoins qu’à la base de tous ces one-man ou woman shows, il y a cette rencontre, ce spectacle pour deux acteurs, le personnage et le public. Et puis cette femme nous dira qu’elle a gardé une pièce dans son appartement dans laquelle elle peut malgré tout, après tout, encore rire ; j’ai choisi une scène comme lieu, la scène d’un comedy club. J’aime cette idée du théâtre comme refuge : dans toutes les tempêtes, il y aura toujours une zone où les turbulences nous secoueront certes, mais où elles nous laisseront grandi.es et plus fort.es après la catastrophe. J’y crois profondément.

Toutes les punch lines sont déjà dans l’écriture de Dennis Kelly. Suffit de les débusquer et de les faire résonner. Le texte, magnifiquement traduit par Fanny Britt, est livré ici par un personnage incroyable. Une femme droite, franche, honnête, résiliente s’il en est et aussi tourmentée, défaite et en colère, en quête de sens. Cette femme, vous ne l’oublierez jamais.

Le reste, c’est l’affaire d’une rencontre entre une actrice et un rôle, entre la mise en scène et
l’actrice… et entre vous et cette actrice. J’ai aimé chacune des minutes de ce travail avec Marilyn. La mise en scène doit éclairer un texte. Pas d’esbroufe. C’est uniquement dans la clarté des intentions que les univers se créent et se déploient sous nos yeux. J’espère bien humblement y être parvenu.

Je manque de mots pour saluer le talent, la force et le courage de Marilyn Castonguay. Je la
remercie chaleureusement. Pour interpréter cette femme au courage et à la résilience uniques, il fallait une actrice exceptionnelle. Marilyn, tu représentes le type d’interprète que je vénère, celui ou celle qui tasse son ego du chemin et qui disparaît derrière le rôle. Merci.

Je veux saluer Dennis Kelly et Fanny Britt qui ont écrit et traduit ce texte essentiel. Merci, Fanny Bloom et Thomas Hébert, pour la trame sonore qui nous accompagne tout au long du périple. Je rêvais d’une voix de l’intime, la petite voix intérieure qui, même quand tout s’écroule, continue de fredonner une « ritournelle »… comme pour nous assurer que nous sommes toujours vivants. Marie-Hélène Dufort a été non seulement le premier regard, mais celle sur qui je me suis appuyé pour vérifier si l’histoire qu’on raconte se tient. Merci pour tout, Marie-Hélène. Merci à Olivier Landreville et Mérédith Caron que j’ai retrouvés avec grand bonheur et merci à Julie Basse pour cette première collaboration.

N’étant plus à la barre du théâtre, j’ai vu l’équipe de La Licorne sous un autre angle et je réalise encore plus à quel point cette équipe est inspirante, solide et absolument dédiée aux artistes. Merci à toutes et à tous.

Bonne soirée.

Denis Bernard