Terminus

Je suis vraiment fier de vous proposer cette œuvre de Mark O’Rowe. La Manufacture a déjà, à deux occasions, créé des pièces de l’auteur; Howie le Rookie a fait date dans l’histoire de notre théâtre, impossible d’oublier les performances de Maxime Denommée et de Claude Despins. Sans oublier Tête première, avec les magnifiques prestations de Kathleen Fortin, Dominique Quesnel et Sandrine Bisson.

Il n’est pas étonnant que nous vous présentions enfin Terminus. J’oserais dire que nous avions un rendez-vous avec cette œuvre qui s’inscrit de manière fulgurante, voire fondatrice, dans notre mission artistique.

Dans Terminus, créée en 2006, O’Rowe va très loin. Il n’hésite pas à confronter ses personnages à une terrible violence et nous laisse haletants au bout d’un récit aux allures de mélopée où le rythme de la langue et les images qu’il utilise nous renvoient à nos propres peurs, fantasmes et autres distorsions de nous-mêmes, faisant d’une certaine façon de nous ses personnages, les héros de nos propres vies.

Dans Terminus, on se fait justice, on tue ou on sauve, on vole dans les bras de Lucifer, on fait l’amour avec les anges et on meurt empalés par le glaive vengeur du diable en personne. Trois humains, deux femmes et un homme, vont à la rencontre d’un destin qu’ils n’ont même jamais osé imaginer, un destin que seule la parole d’O’Rowe peut rendre possible tant la poésie et la violence se côtoyant outrageusement sont grandes et le surnaturel salvateur. O’Rowe parvient à magnifier et sublimer la fulgurante et désespérante violence de nos existences. Nous sommes devant une œuvre d’exception.

Dans Terminus, la violence n’est pas gratuite. La solitude et la détresse des personnages sont bien réelles et nous les reconnaissons aisément. Ici, O’Rowe nous provoque. Au lieu de détourner le regard de la violence de notre monde, il propose que nous la regardions bien en face au contraire, et que nous la découvrions drôle, grande, poétique. Dans ce formidable récit, O’Rowe nous le rappelle : nous sommes GRANDS ! Nous ne supportons pas d’être les spectateurs passifs de nos vies. Peu importe la direction et le sens que nous donnons à nos actes, c’est à une meilleure destinée que nous travaillons. Qu’il s’agisse de chanter comme Bette Midler, de sauver une femme d’une mort certaine ou encore de trouver enfin l’amour même dans les bras du démon, il y a le dépassement de soi qui est toujours le moteur de cette formidable nuit. Le dénouement de cette histoire nous surprend certes et nous invite au dépassement si exigeant que vivre exige, pour une suite du monde qui est loin d’être évidente, mais que nous savons reconnaître dans notre sagesse.

Je tiens à remercier Olivier Choinière qui nous a donné une superbe traduction de l’œuvre. Merci à Michel Monty pour sa lecture éclairée, sensible et ludique de la pièce. Merci Alice, Mani et Martine ; vous êtes les magnifiques passeurs de cette parole qui saura laisser une trace dans nos existences. J’en suis convaincu. Merci à Judith et à tous les concepteurs et un merci plein de reconnaissance à toute l’équipe de La Manufacture qui une fois de plus rend TOUT possible.

ENSEMBLE AVEC VOUS CHER BERNARD

En terminant, j’aimerais dédier ce spectacle à la mémoire de M. Bernard Wheeley. Bernard nous a quittés le 30 mars dernier. Jusqu’à la fin, ou presque, Bernard a assisté à tous les spectacles de notre théâtre. Il avait même demandé que nous soyons prévenus de son départ. Bernard était un spectateur curieux, passionné et amoureux de toutes les dramaturgies. Il aimait profondément le théâtre et les artistes. Il était de toutes les aventures. Il était ce spectateur auquel nous pensons toujours quand nous programmons une œuvre. Nous le savions exigeant, mais nous pouvions le surprendre, le sortir de sa « zone de confort », le bousculer, l’amener là où il ne pensait pas aller. Il disait sortir grandi de chaque représentation. Pas de doute qu’il aurait été avec nous ce soir, dans cette première rangée où il aimait bien se trouver. Nous vous dédions ce spectacle, Bernard, et nous boirons un verre de blanc à votre nouvelle condition. Merci pour tout. Vos amis artistes vous saluent.

Bonne soirée !

Denis Bernard

L’œil allumé, Denis Bernard me donne à lire Terminus. Bien au fait du lien privilégié qu’entretiennent le Théâtre de La Manufacture et Mark O’Rowe, j’avais hâte de lire ce
troisième et dernier opus d’un tryptique. À la première lecture, j’ai arrêté à la moitié pour digérer la violence et la désolation. La digestion fut si lente que j’ai dû attendre au lendemain pour terminer la pièce. La deuxième lecture s’est faite d’un trait. J’ai alors été happé par la langue et le rythme, soufflé par les sinuosités narratives de cette folle et infernale cavalcade. J’ai aussi mieux compris comment le sordide et le fantastique font osmose et que la violence doit être traitée avec un second degré pour qu’elle soit digeste. Je fus aussi interloqué par la fantasmagorie et l’imagerie judéochrétienne qui se déploient en toile de fond du récit. À ce propos, Olivier Choinière – qui connaît si bien l’univers de O’Rowe – m’a rappelé une évidence : « Michel, oublie pas que l’auteur est irlandais ». À la troisième lecture, je suis le metteur en scène qui se demande comment faire pour monter ce texte touffu, construit en successions de monologues fulgurants.

O’Rowe ne laisse aucun raccourci possible à l’acteur qui doit entrer dans sa langue comme un athlète entre en piste, comme un danseur entre en transe. Et le metteur en scène semble à prime abord avoir très peu d’espace, à part son très important travail de direction d’acteur. Et même si je savais que mon travail avec l’acteur serait fondamental, j’avais pourtant la conviction qu’il ne faut absolument pas laisser le spectateur entièrement seul avec l’acteur et le texte. Il faut des images, une distance et un univers visuel, sinon ce sera trop aride, me disais-je.

Puis, à la quatrième lecture, je cherchais comment intégrer du son, des images et des actions dans la mise en scène. Et peu à peu, j’ai commencé à imaginer le spectacle comme les pages d’un roman graphique et sonore qu’on tournerait. Un univers visuel rappelant la BD s’est mis en place avec Johnny Ranger à la création des images. La suite fut une recherche d’équilibre de manière à appuyer les acteurs et le texte, sans les supplanter.

P.S. : Merci Alice Pascual pour le pique-nique aux vers de terre, Mani Soleymanlou pour le fameux petit clip vert, Martine Francke pour le pied de biche. Je vous aime, vous êtes mes héros de faire ça. Merci Johnny Ranger pour ton sens artistique aiguisé, Judith Saint-Pierre pour ta précision sans faille, Linda Brunelle pour ton cœur et ton sens du détail, Guy Simard pour la lumière des possibles, Éric Forget pour ton oreille juste à la bonne place. Pierre Laniel, sans toi, on n’y serait pas arrivé. Enfin, merci Denis Bernard pour ta confiance et ta passion contagieuse. Merci pour ce plongeon dans l’univers effrayant et merveilleux de Mark O’Rowe.

Michel Monty