En septembre 2014, j’étais à Montréal parce que La Licorne présentait une lecture publique de ma pièce A Respectable Widow Takes To Vulgarity (Une veuve respectable s’initie à la vulgarité) dans le cadre d’un échange au cours duquel des pièces écossaises traduites en français étaient lues ici et des pièces québécoises étaient lues en anglais au Traverse Theatre d’Édimbourg.
Lorsque je n’étais pas en répétition, je passais mon temps à tomber en amour avec la ville. Lorsque j’étais en répétition, je passais mon temps à tomber en amour avec les acteurs. D’autres auteurs écossais, Rob Drummond et Morna Pearson, participaient aussi à cet échange, ainsi que la directrice artistique du Traverse, Orla O’Loughlin. Éblouis par tant de talent et de dévouement, nous étions carrément fous des acteurs québécois!
Micheline Bernard était de la distribution de ma pièce. Je ne pouvais la quitter des yeux. Elle brillait, littéralement ! Elle jouait avec un tel contrôle, une telle intelligence et avec tant de vitalité et de spontanéité. À un certain moment durant la lecture, elle a enlevé ses lunettes et a jeté un coup d’oeil aux spectateurs et… ils ont craqué. Eux aussi ont été conquis.
Plus tard, au bar, j’ai timidement abordé Micheline et lui ai parlé de ma pièce Promises Promises. « Ce rôle serait parfait pour toi »… et j’en ai rajouté. C’était de la pure convoitise de ma part ! N’importe quelle pièce serait parfaite pour elle ! Ou plus précisément, elle serait parfaite pour n’importe quelle pièce !
Elle m’a gentiment répondu qu’elle aimerait lire la pièce, mais je n’étais pas convaincu que ça aboutirait à quelque chose. Peut-être voulait-elle simplement se débarrasser de moi ? Mais elle l’a vraiment lue. De même que Denis Bernard, le directeur artistique de La Licorne. Et peu de temps après, à mon plus grand plaisir, je rencontrais Denis au Festival d’Édimbourg et nous discutions des particularités du texte et de dates possibles.
J’ai travaillé avec Maryse Warda sur la traduction. Je dis « travaillé », mais en réalité, tout ce que j’ai eu à faire a été d’accepter ses propositions par Skype ! Maryse comprend mes pièces et son instinct est toujours juste. Elle est créative, judicieuse, c’est une magnifique auteure. Je suis honoré que tant de gens talentueux aient travaillé sur Des promesses, des promesses.
Cette pièce revêt une importance particulière à mes yeux. Je l’ai écrite en 2007, alors que ma femme était enceinte de notre premier enfant. La pièce est basée sur l’histoire qu’a vécue une amie enseignante alors qu’elle avait dans sa classe une jeune Somalienne qui faisait du mutisme sélectif. Chaque semaine, des gens venaient l’« exorciser » dans la classe dans l’espoir qu’elle se mette à parler.
Des exorcismes. Sur une enfant. Dans une école de Londres.
Cette histoire m’a stupéfié. Je ne pouvais pas croire qu’en Grande-Bretagne, une école puisse tolérer cette situation. Comment cette petite fille devait-elle se sentir ?
Mon père et ma mère étaient enseignants. Et mon père fut d’ailleurs un excellent directeur d’école. À sa retraite, des écoles en situation d’échec venaient le consulter. Je me suis demandé ce qu’il aurait fait dans cette situation. Facile. Il y aurait mis fin. Fin de l’histoire.
Mais je voulais qu’il y ait une histoire. Je voulais la raconter. Étrangement, je voyais ça comme une vengeance.
Lorsque des actrices ayant interprété Miss Brodie me parlent de la pièce, je vois bien leur regard tendu, tourmenté. Elles sont encore hantées par la pièce.
C’est une pièce difficile. En plus du défi de mémorisation que représente le texte, ce rôle demande à l’actrice de plonger dans des zones obscures. Il requiert une maîtrise totale de la scène, du texte et de l’énergie du public. Lorsque j’ai vu Micheline jouer, j’ai su immédiatement qu’elle pourrait faire tout ça, et encore plus.
Mais au départ, je pense que je lui ai demandé de lire la pièce parce que je suis, moi aussi, toujours hanté par ce qu’elle contient. J’y pense très souvent.
Je me demande pourquoi. Peut-être parce que mon père est décédé quelques mois avant qu’elle soit écrite ? Ou peut-être parce que ma femme a accouché d’une petite fille ? (J’ai deux petites filles maintenant.)
Ou peut-être parce que tout ça est encore d’actualité ?
Au moment où j’écris ces lignes, le Royaume-Uni se sépare de l’Union européenne. Notre gouvernement veut claquer la porte… de toutes ses forces. Les journaux écossais nous font sans cesse part de l’échec du système scolaire et de la chute du nombre d’enseignants. Et je n’ai pas vraiment envie de parler du président américain et de ses « conversations de vestiaire ». Mais ce qu’il a dit, c’est qu’il peut disposer à sa guise du corps des femmes, car selon lui, ils lui appartiennent. Et il n’est pas le seul à le penser. Depuis la dernière production de cette pièce, nous avons eu droit à Harvey Weinstein. Et maintenant, on ne parle plus simplement de millionnaires et de fanatiques religieux, on parle aussi de gens de mon milieu – dans les salles de répétition, les bureaux et les bars de théâtres.
Donc, oui. Je suis toujours hanté.
Douglas Maxwell