Regards croisés avec Fabrice Vil

La culture du viol prend vie

Photo de la pièce Les glaces. Sur la photo: Valérie Laroche et Olivier Normand
Crédit photo: Suzane O’Neill

Je n’ai jamais pensé qu’une personne pourrait se glacer le sang avec humour. C’est pourtant ce qui m’est arrivé en lisant Les glaces, le texte de Rébecca Déraspe.

«Je ne sais pas exactement quand l’expression “culture du viol” a fait son entrée dans le lexique québécois. Par contre, je sais pourquoi elle me donne de l’urticaire. Et pourquoi, à mon avis, elle ne s’applique pas à nous.»

  • «Spotted» dans un journal populaire de «cheu nous» (excusez-moi l’anglicisme et le joual).

 

Quoi dire? Cette citation contient essentiellement trois choses. Premièrement, l’expression d’une incompréhension ou d’une ignorance («je ne sais pas»). Deuxièmement, la description d’une réaction («l’urticaire»). Troisièmement, une opinion («la culture du viol ne s’applique pas à nous»).

Commençons par le troisième aspect: je suis en profond désaccord avec l’opinion contenue dans cette citation.

Cela dit, je suis sensible à la réaction. Selon mon expérience, lorsque, dans la vie privée ou dans l’espace public, on tente d’identifier et de définir un phénomène qui se fond subtilement dans notre environnement, des réactions vives se manifestent. C’est parce que c’est bien difficile de parler de ce qui, pour certaines personnes, est littéralement imperceptible. Pour illustrer ce problème, certains auteurs parlent de la difficulté qu’aurait un poisson à parler de la température de l’eau. Le poisson ne sait même pas qu’il est dans l’eau.

De façon similaire, il semble donc difficile d’accepter la culture du viol, compte tenu des aspects intangibles de cette culture, mais aussi de sa gravité. Quoi? Une culture, chez nous, qui minimise, normalise ou encourage le viol? Me semble que nous devrions tous·tes en faire de l’urticaire.

D’où l’importance de la sensibilisation et de l’éducation, afin de répondre à l’ignorance et à l’incompréhension liées au phénomène. Pour étaler mon érudition de bobo de gauche de Montréal – Les glaces en parle de ça. Toute est dans toute –, je tiens à dire que je ne mecspliquerai pas la culture du viol.

Entendez-moi bien: je crois que nous, les hommes, devons parler ensemble de notre responsabilité vis-à-vis des violences physiques, psychologiques et sexuelles qui sévissent dans notre société. Cela étant dit, je crois que mon mecsplication, ici, serait bien moins savante que les ouvrages féministes sur la question. Je pense entre autres au travail de personnes comme Tarana Burke, à l’origine du mouvement #MeToo, ou encore de Martine Delvaux, qui m’a d’ailleurs précédée à La Licorne.

J’aurais aussi, par mes propos, beaucoup moins d’impact qu’une histoire habilement racontée. Une histoire qui, tout en me tordant de rire, me donnerait des étourdissements par le sérieux de sa démarche. Une histoire qui, par la beauté, la souffrance et la complexité de ses personnages, me pognerait par les couilles pour me dire fermement: c’est de ça que les femmes parlent. Une histoire qui me glacerait le sang et m’ouvrirait davantage les yeux. Une histoire comme Les glaces, tiens.

J’ai lu le texte de la pièce. Merci à Noémie, Vincent, Marianne, Richard, Sébastien, Jeanne, Valérie et Théo, ces personnages qui m’ont invité à constater certaines évidences liées à la culture du viol, mais aussi à des nuances qui méritent d’être saisies afin d’asseoir l’idée que, oui, cette culture fait partie de notre humanité. L’amitié, l’amour, la famille, la parentalité, la jeunesse. Des thèmes liés à la culture du viol que nous observons à travers ces personnages.

La plume de Rébecca Déraspe, qui leur donne vie, mérite d’être saluée. Elle rend ainsi concret un phénomène systémique intangible, mais sévère. En même temps, je l’imagine écrire son texte, sourire léger en coin, en y insérant ici et là quelques lignes qui exposent comment nous sommes cons, parfois, les hommes. Surtout les citadins milléniaux qui, après quelques lectures et écoutes de balados, croyons avoir compris dans notre tête ce qu’est la vertu et peinons, dans la vraie vie, à dealer avec nos contradictions.

Le texte est magnifique et j’ai bien hâte de le voir livré sur les planches de La Licorne.

Fabrice Vil