À PROPOS DU TITRE… (ULSTER AMERICAN)
Le questionnement autour du titre est intéressant. Les spectateurs de Montréal ne le comprendront probablement pas, mais, à vrai dire, les spectateurs ailleurs dans le monde n’ont pas l’air de le comprendre non plus. Mais les gens semblent aimer le titre parce que c’est une agréable juxtaposition de mots, je crois.
J’ai appelé ça Ulster American parce que Jay est un Américain irlandais, mais aussi parce que Ulster est un territoire qu’on se dispute – en partie britannique, en partie irlandais, qui fait l’objet de querelles depuis des décennies. Et j’imagine que le « territoire qu’on se dispute » est le sujet principal de la pièce.
Ulster est un mot qui est fréquemment utilisé en Irlande du Nord – c’est un mot controversé et puissant. Si quelqu’un dit qu’il vient de Ulster, on devine son allégeance politique – protestant, unioniste, probablement de droite. Le choix des mots est lourd de sens en Irlande du Nord. Les Irlandais catholiques, les républicains et les gens de gauche – les plus endurcis, en tout cas – ne diront pas Ulster, mais plutôt « le Nord de l’Irlande » ou « les six comtés ». L’expression la plus politiquement correcte demeure « l’Irlande du Nord », c’est celle qui est la plus utilisée pour éviter d’offenser l’un ou l’autre des deux camps.
En Écosse, certaines personnes utilisent toutes ces expressions de la même manière que les Irlandais, mais la plupart des Écossais ne comprennent pas les nuances qui y sont rattachées. Et pour ce qui est des Anglais, ils n’en ont pas la moindre idée. Ils parleront de l’Irlande ou de l’Irlande du Nord. (D’où la complète ignorance de Leigh sur le sujet, bien qu’il s’agisse d’un intellectuel.)
Initialement, il y avait un moment dans la pièce où Jay apprenait qu’il n’avait pas comme ancêtre des paysans irlandais catholiques, mais qu’il descendait plutôt de propriétaires terriens protestants britanniques – par conséquent, il n’aurait pas été un Américain irlandais mais plutôt un Américain d’Ulster, ou en anglais « an Ulster American », terme que j’ai inventé. Mais j’ai dû renoncer à ce détail parce que ça ne fonctionnait pas très bien (et que l’histoire était déjà très chargée comme ça !).
Beaucoup d’Américains disent qu’ils ont des descendants irlandais, mais plusieurs d’entre eux ne réalisent pas qu’ils ont pour ancêtres des Écossais protestants d’Ulster qui travaillaient sur des plantations au 17e siècle – des hommes et des femmes qui auraient été horrifiés qu’on parle d’eux comme étant des Irlandais ou des catholiques. On parle ici de colons qui ont quitté l’Angleterre pour coloniser l’Écosse, puis qui ont quitté l’Écosse pour aller coloniser l’Irlande. Parmi eux, plusieurs ont quitté l’Irlande pour coloniser l’Amérique. Au début de la naissance de l’Amérique, ces protestants d’Ulster et les catholiques irlandais avaient l’habitude de s’affronter dans des combats (le film Gangs of New York montre très bien cette réalité), mais, au gré du temps, l’utilisation du terme Ulster a été délaissée et les deux clans ont choisi de se faire appeler Irlandais écossais et Irlandais américains.
On parle constamment de moi comme étant un auteur irlandais – et quand vous êtes un auteur irlandais, vous faites partie d’une noble tradition d’écrivains comme James Joyce, Samuel Beckett, Oscar Wilde, etc. Mais je suis issu d’une famille protestante ouvrière. J’ai été élevé en me faisant dire que j’étais britannique, donc je me suis toujours senti un peu mal à l’aise avec cette étiquette d’auteur irlandais. À vrai dire, je me considère comme Britannique ou Irlandais du Nord, mais c’est plus commode pour ma carrière à Londres et à New York d’être considéré comme un « auteur irlandais ». Ruth est dans la même situation que moi.
La pièce est vraiment à propos de notre identité politique – c’est comme si le monde entier avait découvert la notion d’identité politique au cours des dix dernières années, tandis que l’Irlande, elle, se questionne sur ces choses depuis des siècles !
J’imagine que, en partie, le titre exprime l’idée de confrontation. C’est presque Ulster contre l’Amérique. Ruth représente le cliché d’Ulster – petite, sans vernis, sans argent, sans pouvoir, sans statut, mais en colère contre tout et douée pour le combat ! Jay, lui, représente le cliché américain – plus grand que nature, puissant, riche, libre, mais paresseux, peureux et violent.
La pièce est aussi inspirée par quelques histoires de vedettes hollywoodiennes qui se sont ridiculisées à Ulster pendant un tournage ou en faisant de la recherche pour un rôle. Il y a des tonnes d’anecdotes ! Brad Pitt, Bill Murray, Tim Robbins, Matthew Broderick, Vince Vaughn.
Un gars que je connais, un auteur dramatique irlandais qui s’appelle Martin Lynch a écrit, dans les années 1980, le scénario du film A prayer for the dying, mettant en vedette Mickey Rourke. Martin était membre de l’IRA et Mickey Rourke est venu à Belfast pour faire de la recherche pour le film. Martin m’a raconté qu’il était tellement stupide et mal informé à propos de la situation en Irlande du Nord que c’était un supplice d’essayer de lui faire comprendre quoi que ce soit. En plus, Martin devait sans cesse prêter secours à Mickey Rourke qui passait son temps à se battre avec les piliers de bar des environs. Mais il faut admettre que la situation politique en Irlande du Nord est tellement complexe que c’est à peu près impossible de l’expliquer à quelqu’un de l’extérieur du pays, même s’il s’agit d’une personne extrêmement brillante !
David Ireland